Hypercapitalisme, post-mondialisation et l’IA : entre diagnostic et perspectives critiques
Journée d’études, 2 juillet 2025 (10h00 – 18h30)
CNAM, accès 2 rue Conté, 30. -20.25
https://univ-eiffel.zoom.us/j/87121293354
Meeting ID: 871 2129 3354
Passcode: W20TWAWk
Sous la direction de
Franck Cormerais (MICA, Université Bordeaux-Montaigne / IRI),
Armen Khatchatourov (DICEN-IdF, Université Gustave Eiffel),
Augustin Sersiron (Institut Catholique de Paris).
Journée co-organisée par DICEN-IdF, MICA, ICP, la Revue Etudes Digitales
avec le soutien de : LITEM de l’Université Paris Saclay, LASCO IdeaLab de l’IMT et IRI/Centre Pompidou
Argumentaire : Au mode de régulation néolibéral du capitalisme, qui reposait sur la financiarisation et la mondialisation (deux sources de profit désormais en voie d’épuisement), semble succéder un nouveau régime d’accumulation : l’hypercapitalisme issu des plateformes numériques et promettant de relancer l’accumulation par les IA. Il s’agira dans un premier temps de poser un diagnostic sur ce qui nous apparaît comme un véritable changement d’époque, avant d’en tirer les conséquences normatives lors d’une prochaine journée d’étude.
Les marchés financiers libéralisés, premier pilier du néolibéralisme, ont fini par s’effondrer dans la crise des subprimes, mais ont été sauvés par l’intervention massive des banques centrales (QE) sans retour à une règlementation stricte analogue à celle qui avait été mise en place après 1929. Dans un contexte d’endettement généralisé de moins en moins soutenable, et tandis que s’opère une monopolisation croissante de l’actionnariat mondial par les gestionnaires d’actifs géants à participations croisées (BlackRock, Vanguard, State Street), les profits tirés de l’économie réelle s’essoufflent, mais la financiarisation se prolonge par l’emploi de l’IA (Aladdin), l’automatisation de la gestion d’actifs (trackers), l’essor des crypto-actifs spéculatifs (Bitcoin) ou les rachats d’actions (buybacks).
La deuxième source majeure de profit en régime néolibéral, la mondialisation, a elle aussi subi de plein fouet la crise de 2008, premier d’une série de chocs successifs (crise de la zone euro, crise migratoire de 2015, Brexit, élection de Trump, pandémie, guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, réélection de Trump…). Le commerce mondial est désormais menacé par le retour du protectionnisme américain comme réponse à la désindustrialisation paroxystique des dernières décennies, tandis que son cadre institutionnel historique est contourné par la montée en puissance et l’institutionnalisation des BRICS+ qui remettent en cause l’hégémonie du dollar et la suprématie technologique des Etats-Unis (guerre des puces).
Dans ce contexte, l’accumulation capitalistique s’articule désormais avec celle du développement des technologies numériques. Après le développement du marché de l’informatique personnel au début de l’ère néolibérale (depuis l’Apple II en 1977), le capitalisme de plateformes post-2007 (iPhone) fondé sur l’exploitation des données numériques a abouti à l’IA générative (ChatGPT fin 2022), ouvrant la voie à un nouveau stade de l’automation tant dans les services (agents IA) que dans l’industrie ou la sphère domestique (robots humanoïdes, véhicules autonomes, drones). Le nouveau régime d’accumulation promu outre-Atlantique devra-il reposer sur un modèle industriel double : les relocalisations (les giga-factories, etc.) et le développement dérégulé de l’IA ? Cela conduira-t-il à des formes inattendues et hétérogènes de réinvention du rapport au travail, à l’innovation industrielle? A quoi peut nous servir un tel diagnostic et quels horizons pourrait-il ouvrir ?
Comité scientifique : Maryse Carmes (DICEN-IdF, CNAM), Pierre-Antoine Chardel (LASCO IdeaLab de l’IMT & LAP, CNRS-EHESS), Kalynka Cruz (Université Fédérale du Para à Belem, Brasil), Jean-Luc Moriceau (LITEM, Université Paris Saclay / IMT-BS), Vincent Puig (IRI – Centre Pompidou).
Programme de la journée :
10h-13h00 :
Franck Cormerais (MICA, Université Bordeaux Montaigne), Hypercapitalisme, données et accumulation générale
Augustin Sersiron (Institut Catholique de Paris), Hypercapitalisme, finance punk et configuration post-libérale
Benjamin Bürbaumer, (Sciences Po Bordeaux), Le symptôme Trump : quand le capitalisme mine la mondialisation
14h30- 17h30 :
Armen Khatchatourov (DICEN-IdF, Univ. G. Eiffel) : « Néo-, post-, hyper- : quelle terminologie pour quelle gouvernementalité à l’heure de l’IA ? »
Antonella Corsani (Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne), L’Intelligence Artificielle : Catalyseur de transformations pour l’emploi, le travail et la production de connaissances
David Pucheu (MICA, Université Bordeaux Montaigne), Enclaves algocratiques et capitalisme transnational : les hétérotopies numériques du post-globalisme
17H30 : Table ronde et discussion
Résumés
Cormerais Franck, Hypercapitalisme algorithmique, data et processus général d’accumulation
Nous aborderons une transformation du capitalisme actuel à partir de l’IA comprise comme la forme avancée de la technologie et comme une étape nouvelle de la grammatisation. Nous nous centrerons ensuite sur la question de la relation entre l’accumulation des données, autour de l’avènement d’une General Memory (Mémorisation Générale), et la formation de nouvelles « plus-values ». Nous décrirons enfin les milieux de concrétisation d’une telle opération en lien avec des formes actuelles d’appropriation et de monopolisation.
Augustin Sersiron, Hypercapitalisme, finance punk et configuration post-libérale
Un pilier majeur du régime d’accumulation néolibéral a été la financiarisation, permise par la libéralisation des marchés, l’instauration des taux de change flottants, la libre circulation des capitaux, une réorientation de la création monétaire des banques vers l’achat de titres financiers, l’innovation en matière de produits dérivés, et un endettement croissant des acteurs publics et privés, rendu soutenable par des baisses régulières des taux. Le casino financier mondial qui s’effondre en 2008 est sauvé par les politiques non conventionnelles des banques centrales qui déversent des milliards sur les marchés sans resserrement règlementaire à la mesure de ce qui avait été fait après la crise de 1929 : depuis lors, la puissance publique porte à bout de bras une finance toujours ultra-libéralisée et hypertrophiée, qui, dans un repli nihiliste, s’enferre de plus en plus sur la pure spéculation mimétique (cryptoactifs, trackers) en se désinvestissant de l’économie réelle (stocks buybacks) dont elle n’espère plus rien.
Benjamin Bürbaumer, Le symptôme Trump : quand le capitalisme mine la mondialisation
En réponse à leur crise de suraccumulation des années 1970s, les Etats-Unis ont impulsé la formation de la mondialisation. C’est de l’intérieur de cette nouvelle organisation économique qu’est né le plus grand défi à la supervision américaine du marché mondial : la Chine. Cette dernière vise à remplacer la mondialisation par un ordre mondial sino-centré. La prise en compte de cet enjeu fondamental est la clé de compréhension au phénomène Trump : l’actuel président américain est avant tout le symptôme de cette bataille, qu’il alimente toutefois en retour, au point de provoquer une escalade sans précédent dans la rivalité sino-américaine.
Armen Khatchatourov , Néo-, post-, hyper- : quelle terminologie pour quelle gouvernementalité à l’heure de l’IA
Cette communication posera la question de passage d’un mode de gouvernementalité à un autre. Nous partons du constat sur la proximité entre le néolibéralisme et les technologies de l’IA, qui nous semble aujourd’hui évidente. Néanmoins, l’exigence de thématiser le point de rupture (ou au contraire de perpétuation) persiste. L’IA est-elle le point culminant de néolibéralisme (entendu dans sons sens strict) ? Ou bien, l’IA est-elle le début d’une nouvelle forme dont nous essayons de comprendre les prémisses ?
Dans les deux cas, l’élaboration d’un appareil heuristique et terminologique nous semble un préalable nécessaire à cette enquête.
Antonella Corsani, L’Intelligence Artificielle : Catalyseur de transformations pour l’emploi, le travail et la production de connaissances.
L’analyse sociologique et économique de l’impact de l’intelligence artificielle est à ses premiers pas. On peut avancer une première hypothèse sans prendre trop de risques : l’intelligence artificielle s’impose aujourd’hui comme catalyseur de mutations profondes dans l’emploi, le travail et la production de connaissances. Après avoir problématisé l’approche catastrophiste de la fin du travail-emploi, l’intervention se concentrera sur les hypothèses de l’impact possible de l’IA sur le travail et sur le processus de production de connaissances. Différents scénarios seront alors envisagés entre un monde dystopique de désolation humaine et de tarissement des capacités d’invention et l’émergence de collectifs capables de s’auto-organiser et de mutualiser leurs savoirs, transformant ainsi la production de connaissances en un processus ouvert et partagé.
David Pucheu, Enclaves algocratiques et capitalisme transnational : les hétérotopies numériques du post-globalisme
À la croisée du techno-capitalisme et des utopies libertariennes, des projets comme ceux du Seasteading Institute, de la charter city de Próspera (Honduras) ou encore des Etats-Réseaux récemment proposés par le crypto-entrepreneur Balaji Srinivasan incarnent l’émergence de formes inédites d’organisation sociale et économique. Ces nouvelles hétérotopies du capitalisme numérique articulées autour des technologies de la blockchain, des cryptomonnaies et de formes déterritorialisées de gouvernance algorithmique, visent à soustraire les activités humaines aux régulations traditionnelles des États-nations. Fondées sur des principes d’auto-organisation et de compétition intégrale, elles visent à instaurer des micro-régimes juridiques autonomes qui prétendent inaugurer une nouvelle ère de souveraineté individuelle et de libre association contractuelle.
En rupture avec la logique de mondialisation néolibérale des années 2000, fondée sur l’intégration des marchés par les institutions internationales, ces enclaves entendent substituer au droit international une infrastructure transnationale distribuée, adossée aux réseaux numériques et aux marchés de l’attention, du capital et de la donnée. En analysant les discours et dispositifs de ces expérimentations (villes privées, zones économiques spéciales algocratiques, écosystèmes du Web3) cette communication interrogera la nature du changement d’époque en cours : vers quel type de rationalité économique, de subjectivité politique et d’imaginaire technique ces enclaves transnationales nous dirigent-elles ? Et en quoi participent-elles d’une redéfinition du capitalisme à l’ère de l’IA et de la post-mondialisation ?