Humanités numériques et construction des savoirs (extension de la date de soumission de résumé)
Le web et les technologies associées au lien hypertexte sont à l’origine d’environnements de lecture enrichie dont nous avons commencé à établir une photographie sous plusieurs angles : celui de l’innovation logicielle et ceux des usages actuels et à venir. Cette lecture enrichie qui repose sur des actes scripturaux nous a incités à reprendre le concept d’écrilecture théorisé par Pedro Barbosa dans sa thèse de 1992 et né de la rencontre des pratiques littéraires créatrices avec l’ordinateur. Alain Vuillemin l’avait repris pour caractériser ce nouveau comportement du lecteur entraîné dans des manipulations créatrices face à l’écran. Nous situons l’écrilecture dans l’évolution des pratiques historiques de construction de l’érudition et pensons à la « lettrure » observée dès le moyen âge qui, comme le rappelle Emmanuel Souchier, désignait une seule et même activité. Réservées à une élite de « lettrés », la lecture et l’écriture étaient pensées comme un seul processus, constitué par des actions liées et complémentaires dans lesquelles l’activité de lecture, hautement structurante, permettait au récepteur de la connaissance construite de devenir acteur par l’enrichissement des idées transmises. Ce procédé intervenait par capitalisation intellectuelle et agrégation avec sa réflexion dans une transformation scripturale et pouvait être matérialisé sur le support physique au moyen de marginalia, notes de bas de page et autres annotations. Aujourd’hui, les processus d’écrilecture sont soutenus par de multiples fonctionnalités logicielles et rendus autonomes par raisonnement computationnel sur la sémantique.
Les pratiques liées aux usages de lecture « savante » se sont perpétuées au cours des siècles et les annotations sont elles-mêmes devenues objets d’études, comme plus-values des textes originaux ou documents à part entière. Les enrichissements peuvent être observés sous un angle épistémologique par la construction de l’autorité, ou sous des éclairages philologiques, paléographiques sur les documents originaux ou encore prosopographiques en éditorialisant les biographies et bibliographies d’auteurs enrichies de notices d’autorité. Si nous observons, par exemple les collections léguées à des musées et bibliothèques, les notes manuscrites ajoutées par leurs propriétaires aident à la réception située des œuvres, à comprendre leurs inspirations et l’interprétation spécifique qu’ils avaient des ouvrages étudiés. Le commentaire, la critique implicite ou explicite des écrits sont en effet de précieux atouts pour juger, en complément de l’œuvre, de la compréhension d’un auteur sur des écrits antérieurs et de sa réception sur le sujet traité, tout du moins la manière de le traiter. La posture épistémologique émerge donc parfois de manière implicite par l’analyse des corpus d’annotation, mais parfois aussi de manière très explicite par la critique annotée dans les ouvrages étudiés.
D’une manière générale, l’écrilecteur est un sélectionneur, un acteur qui de par ses pratiques est directement associé à la transformation du texte lu et plus généralement des documents – sous la forme d’annotations et de commentaires. En effet, la typologie documentaire fait ressortir la pluralité de matérialités d’objets observés et des grilles de lecture associées. Si un certain nombre d’outils d’écrilecture ont été élaborés ces vingt dernières années dont il serait utile de dresser des typologies et des bilans d’appropriation par les communautés concernées, de nouveaux modèles sont en cours d’élaboration. Souvent basés sur l’enrichissement automatisable des références, ces nouveaux modèles interrogent la notion d’augmentation qui – évoquons le point de vue d’H. Arendt – provient de l’autorité : ce que l’autorité augmente c’est la fondation (augmenter = augere). Rappelons que cet objectif d’augmentation a concerné « l’intelligence humaine » dès les années 1960 avec NLS (oN-Line System), le dispositif logiciel issu du projet de recherche de Douglas Engelbart intitulé « Human augmentation framework ». Dès ses origines, le Web était éditable depuis Nexus, le premier navigateur pensé par Tim Berners Lee. Une approche historique retraçant les grandes étapes de l’écrilecture informatique pourrait mettre en perspective l’entrelacement de l’ingénierie avec les approches des sciences humaines et sociales.
La multiplication potentielle des fonctionnalités interroge la qualité de la lecture et ses modifications : quels défis sont à relever par l’enseignement face aux lectures close, hyper et machine décrites par Katherine Hayles ? Quelles conséquences pour la lecture face à sa verticalisation ?
Les données scientifiques, textuelles ou multimédias, sont numérisées à grande échelle par les communautés scientifiques, les États et les sociétés privées. Avec l’avènement du Web social et de la sémantique proposée par les contenus liés sur le Web dans les moutures successives pensées par Tim Berners Lee, il est devenu possible de transposer de manière systématique, sinon aisée les corpus documentaires des sciences humaines vers un espace numérique accessible unique accessible à tous de manière simultanée et de les lier pour en faciliter l’exploitation savante dans l’idée de ce que l’on appelle les humanités numériques.
Certaines productions documentaires scientifiques nativement numériques, multi, cross et transmédias reposent sur la collaboration massivement distribuée (citizen science) ou internalisent la réception des publics. De nouveaux modèles éditoriaux restent donc à imaginer où les réponses des lecteurs pourraient augmenter et diversifier les corpus « sémantisés », leur exposition peut en être facilitée si une indexation adéquate a été réalisée sur les plateformes de diffusion.
Nous appelons donc, à la suite du séminaire « Ecrilecture », les membres de la communauté scientifique à partager leurs réflexions et retours d’expérience sur le sujet de la co-construction d’un savoir scientifique grâce à des approches innovantes de médiation. Sont attendus pour ce livre, des propositions de chapitres concernant la théorie, les études de cas et les retours d’expérience touchant aux domaines suivants :
- Coordination numérique de la construction des savoirs collectifs ;
- Construction de la connaissance scientifique par l’annotation ;
- Aspects conceptuels : modélisation et réalisation de dispositifs adaptés à l’écrilecture, nouveaux modèles de documents scientifiques ;
- Médiation et vulgarisation scientifique en contexte dans le temps et l’espace (géolocalisation / chrono-tagging…) : méthodologies de construction des savoirs augmentés personnalisables par la sémantique (recommandation, détection d’entités nommées, facettes …) ;
- Retours d’expériences sur les projets de corpus « sémantisés », l’importance de l’éditorialisation des métadonnées ;
- Entrepôts de la science, matière première des humanités numériques : description, normes et interaction ;
- Bibliographies scientifiques annotées : l’intérêt d’une approche collaborative dans les unités de recherche ;
- Aspects sociohistoriques de la construction de l’écrilecture informatique.
Format
- Évaluation en double-aveugle
- Volume des chapitres : entre 30 et 35 000 signes (espaces compris)
Calendrier
7 septembre 201521 septembre 2015(prolongation) : date limite d’envoi des résumés d’une page accompagnés d’une courte bibliographie à et23 octobre 20159 novembre 2015 : notification de sélection des résumés25 janvier15 février 2016 (prolongation): réception des chapitres (télécharger la feuille de style)18 avril 201625 mai : retours des évaluateurs25 avril 201610 juin: notification aux auteurs15 juillet 20161 septembre 2016 : réception des chapitres définitifs, à et- 30 septembre 2016 : envoi des chapitres à l’éditeur
- Parution en décembre 2016 ou janvier 2017.
Comité scientifique :
- Aurélien Berra (Paris-Ouest, ArScAn)
- Evelyne Broudoux (Cnam, Dicen)
- Ghislaine Chartron (Cnam, Dicen)
- Orélie Desfriches-Doria (Lyon 3, Elico)
- Laurence Favier (Lille 3, Geriico)
- Luc Grivel (Paris 1, Paragraphe)
- Gérald Kembellec (Cnam, Dicen)
- Olivier Le Deuff (Bordeaux Montaigne, Mica)
- Julie Lemarié (Toulouse Le Mirail, CLLE)
- Annaig Mahé (ENC/Urfist, Dicen)
- Louise Merzeau (Paris-Ouest, Dicen)
- Camille Paloque-Berges (Cnam, HT2S)
- Loïc Petitgirard (Cnam, HT2S)
- Alexandra Saemmer (Paris 8, CEMTI)
- Brigitte Simonnot (Université de Lorraine, Crem)
- Florence Thiault (Lille 3, Geriico)