Journée d’études
Catalyseur de l’innovation (Paris Ouest la Défense)
1er octobre 2024
Appel à communication
(Télécharger l’appel en format pdf)
Si les dimensions sociales et environnementales du numérique sont prises en compte depuis les années 1990 dans les recherches en informatique (Hilty, Lohmann, Huang 2011), ces questions s’installent progressivement dans le débat public, en France et en Europe au cours des années 2010. Dans la recherche, des travaux en sciences humaines et sociales s’emparent peu à peu de ces problématiques, notamment en abordant la dimension matérielle des infrastructures numériques et l’enjeu de la sobriété numérique (Flipo, Dobré, Michot 2013 ; Lopez 2022). Sur le plan professionnel, les termes de Green IT, IT for Green ou Tech for Good émergent dès le début des années 2000. Des groupes de travail se constituent et cherchent à obtenir une légitimité dans le domaine, en particulier grâce à la constitution de labels. Par exemple, l’association greenit.fr, créée en 2004, se veut être « un lieu de réflexion sur les enjeux de la rencontre entre numérique et développement durable[1] » tandis que l’Institut du Numérique Responsable, né en 2018, propose une charte et un label « NR ». Dans l’enseignement supérieur et la recherche, le GDS EcoInfo dédié à l’étude des impacts environnementaux du numérique est créé en 2012[2]. En 2018, le labo 1 point 5 voit le jour. Il a pour objectif de comprendre les impacts environnementaux des activités scientifiques et de les réduire. Parallèlement, des formations en informatique et en ingénierie intègrent progressivement ces enjeux environnementaux[3], comme le montre le diagnostic de formation VERT Num[4] réalisé en mai 2023. Cette intégration progressive se traduit par des modules, voire des formations entières destinées à l’étude des impacts socio-environnementaux du numérique, comme, au sein de l’École royale polytechnique de Suède.
En France à la fin des années 2010, les questions numérique et socio-environnementale se cristallisent avec les formules « numérique responsable » ou « numérique écoresponsable » (Krieg‑Planque 2009). Au niveau législatif, l’émergence de ce problème public (Neveu 2022) fait l’objet de plusieurs rapports et feuilles de routes réalisés dans le cadre d’une mission interministérielle « numérique écoresponsable ». En 2021, ce travail d’analyse donne lieu au vote de la loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique – dite loi REEN –, qui s’adresse aux consommateurs, aux collectivités locales et aux entreprises. Enfin, en 2024, le métier de « chargé de numérique responsable » est considéré comme un métier émergent par Numeum, un syndicat professionnel de l’industrie du numérique en France.
Le discours du « numérique responsable » est principalement cadré autour de l’impact du numérique sur l’environnement et des moyens requis pour le restreindre. Il se structure autour de deux dynamiques complémentaires. D’une part, il insiste sur le besoin de réduire les conséquences environnementales du numérique en optimisant les dispositifs numériques, par exemple en mettant en œuvre une « conception écoresponsable » des services numériques[5]. D’autre part, il envisage la possibilité de faire du numérique un outil pour le développement durable, par exemple en optimisant certains processus dans le transport ou le stockage (Rasoldier 2024).
Cette journée d’études cherche à comprendre dans quelle mesure le numérique responsable apparaît comme le cadre dominant de réponse au problème public des impacts sociaux et environnementaux du numérique. Elle vise à explorer la façon dont des acteurs investissent ce cadre, le font évoluer ou s’y opposent.
L’approche du « numérique responsable » consistant à le penser uniquement à partir de la question de l’impact sur l’environnement est en effet remise en cause par plusieurs acteurs, qui en pointent les limites. Certains signalent la complexité voire l’impossibilité de la mesure de l’impact du numérique sur l’environnement (Rasoldier 2024). D’autres soulignent que la transition environnementale est aussi une transition sociale : le numérique responsable comprend une dimension sociale parfois peu prise en considération par les acteurs. Plus largement, un discours techno-critique met l’accent sur la dimension occidentalo-centrée du discours lié au numérique responsable. L’absence de remise en cause du système économique et politique dans lequel s’inscrit le développement actuel du numérique s’articule à l’absence des questions sociales liées, par exemple, à l’exploitation des travailleurs de pays en développement pour l’IA (Chabanne et al. 2023).
Ces différentes critiques remettent en cause le cadre conceptuel posé par le discours du « numérique responsable » et conduisent certains acteurs à proposer des alternatives pour étudier les liens entre le numérique et les questions sociales et environnementales. Des propositions autour de la « sobriété » ou de la « frugalité » (Hardy, Saint-Martin, Diminescu 2023 ; Flipo 2020) appliquées au numérique voient le jour, tout comme des ambitions de le rendre plus « inclusif », « éthique », « soutenable » ou en faveur de l’« intérêt général »[6]. D’autres propositions plus radicales suggèrent de s’engager dans une forme de décroissance et de renoncer à l’usage d’outils vus comme néfastes pour la société et l’environnement (Monnin 2023). Cette évolution du cadre conceptuel va de pair avec une réflexion sur les pratiques de travail et les projets dans lesquels les acteurs s’engagent collectivement et individuellement (Ragueneau, Sabbagh 2024 ; Hardy, Saint-Martin, Diminescu 2023).
Les communications présentées lors de cette journée pourront s’insérer dans un ou plusieurs des axes suivants :
Axe 1 – Imaginer, concevoir et construire le numérique responsable
Le numérique responsable est une notion autour de laquelle s’articulent des pratiques professionnelles et pédagogiques, des formations et des emplois auxquels sont associés des discours portant sur la nécessité de prendre en compte cette notion au sein des organisations. Ce premier axe invite à réfléchir à la façon dont le discours sur le numérique responsable s’incarne dans différentes sphères sociales et aux éléments autour desquels il se structure. Les propositions de communication pourront également porter sur les certifications et labellisations autour du numérique responsable, pour en analyser le contenu ou la circulation au sein des organisations, ainsi que sur les différents manifestes et propositions théoriques sur le numérique responsable, afin de déterminer les façons dont la définition de cette notion se construit.
Axe 2 – Le numérique responsable confronté à d’autres numériques
La question des conséquences sociales et environnementales du numérique n’est pas traitée uniquement à travers le cadre théorique du numérique responsable, qui peut être associé à une forme de dépolitisation de ces enjeux et de greenwashing. Ce deuxième axe est donc consacré à l’étude de propositions alternatives au numérique responsable, qu’elles aient vocation à le compléter ou à offrir un cadre de réflexion radicalement différent. Il pourra accueillir des propositions portant sur des notions – comme celles de « sobriété »[7], de décroissance numérique ou de « démantèlement » (Bonnet, Landivar, Monnin 2021) du numérique (Couillet, Poissonnier 2023) par exemple. Les propositions portant sur des pratiques pédagogiques et professionnelles alternatives, ou encore sur des communautés structurées autour de la remise en question du recours massif au numérique, sont également bienvenues.
Axe 3 – Évolutions des pratiques professionnelles du numérique responsable
En complément des réflexions portant sur la construction d’un cadre théorique propre au « numérique responsable », ce troisième axe propose d’explorer l’évolution des pratiques professionnelles de celles et ceux qui œuvrent pour réduire les impacts socio-environnementaux du numérique ou qui se servent du numérique pour des missions sociales et environnementales. Les propositions pourront témoigner des pratiques se situant dans le cadre du numérique responsable, déployées par des chargés de numérique responsable ou des responsables RSE dans les entreprises. Elles pourront également évoquer des pratiques moins visibles, en apparence peu liées au cadre du numérique responsable, mais qui pourtant articulent numérique et questions socio-environnementales : « travailleurs du clic » pour les IA (Casilli 2019), « travailleurs du dernier kilomètre », « maraudes numériques » (Quiblier, Poncet-Bernard 2022), ateliers de réparation (Nova, Bloch 2020), installations d’infrastructures (Cellard, Marquet 2023), etc. L’objectif est ici d’observer la diversité de l’évolution des pratiques professionnelles pour comprendre la transformation d’un champ professionnel.
Calendrier
- 31 juillet 2024 : Échéance de réception des propositions de communication
- 26 août 2024 : Notification d’acceptation de la proposition
- 1er octobre 2024 : Tenue de la journée d’études
Les participants et participantes sont invités à soumettre une proposition de 3000-3500 signes (bibliographie non comprise). Les résumés préciseront l’ancrage disciplinaire, la question de recherche, les méthodes adoptées, les matériaux empiriques et les résultats de l’analyse. Les interventions pourront prendre la forme d’une analyse théorique ou d’un retour d’expérience. Elles sont à envoyer à et .
La journée d’études est organisée par le laboratoire Dicen-IdF et l’Université Paris Nanterre en collaboration avec le Catalyseur de l’innovation et de l’entrepreneuriat de Paris Ouest La Défense.
Elle se tiendra au Catalyseur de l’innovation et de l’entrepreneuriat de Paris Ouest La Défense : 110, esplanade du Général de Gaulle, 92400 Courbevoie.
Comité d’organisation :
Eleni Mouratidou, Dicen-IdF, Université Paris Nanterre
Marta Severo, Dicen-IdF, Université Paris Nanterre
Mathilde Vassor, Dicen-IdF, Université Paris Nanterre
Romain Vindevoghel, Dicen-IdF, Université Paris Nanterre
Bibliographie
BERTHOUD, Françoise et PARRY, Marianne, 2010. « Évaluation des impacts environnementaux de l’informatique. Quels outils ? Quelles limites ? », Terminal. Technologie de l’information, culture & société [en ligne], n° 106‑107. DOI : https://doi.org/10.4000/terminal.1794 [consulté le 21 juin 2024].
BONNET, Emmanuel, LANDIVAR, Diego et MONNIN, Alexandre, 2021. Héritage et fermeture : une écologie du démantèlement. Paris : Éditions Divergences.
CARNINO Guillaume et MARQUET Clément, 2018. « Les datacenters enfoncent le cloud : enjeux politiques et impacts environnementaux d’internet », Zilsel, n° 3, p. 19-62.
CASILLI, Antonio, 2019. En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic. Paris : Seuil.
CELLARD, Loup et MARQUET, Clément, 2023. « Frictions sous-marines », Revue d’anthropologie des connaissances [en ligne], vol. 17, n° 4. DOI : https://doi.org/10.4000/rac.31070 [consulté le 28 mai 2024].
CHABANNE, Simon, COUILLET, Romain, BOURMONT, Céleste DE, DEMARS, Pierre-Thomas, GIRARD, Valentin, HODENCQ, Sacha, MIGNEREY-KOELSCH, Julie et POISSONNIER, Grégoire, 2023. « Les impacts sociaux du numérique, grands oubliés de la transition écologique ? », GRETSI 2023, 1 septembre 2023.
COUILLET, Romain et POISSONNIER, Grégoire, 2023. « Pourquoi et comment démanteler le numérique ? », GRETSI 2023, 1 septembre 2023.
FLIPO, Fabrice, DOBRÉ, Michelle et MICHOT, Marion, 2013. La face cachée du numérique. L’impact environnemental des nouvelles technologies. Montreuil : L’Échappée.
FLIPO, Fabrice, 2020. L’impératif de la sobriété numérique : l’enjeu des modes de vie. Paris : Éditions Matériologiques.
HARDY, Antoine, SAINT-MARTIN, Arnaud et DIMINESCU, Dana, 2023. « La frugalité contre l’extractivisme ? », Socio. La nouvelle revue des sciences sociales, n° 17, p. 9‑31.
HILTY, Lorenz, LOHMANN, Wolfgang et HUANG, Elaine M., 2011. “Sustainability and ICT – An overview of the field”, Notizie di POLITEIA, n° 104, p. 13-28. DOI : 10.5167/UZH-55640. [Consulté le 28 mai 2024].
KRIEG-PLANQUE, Alice, 2009. La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique. Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté.
LOPEZ, Fanny, 2022. À bout de flux. Paris : Divergences.
MONNIN, Alexandre, 2023. Politiser le renoncement. Paris : Divergences.
MONNOYER-SMITH, Laurence, 2017. « Transition numérique et transition écologique », Annales des Mines − Responsabilité et environnement. N° 87 (3) : 5.
NEVEU, Érik, 2022. Sociologie politique des problèmes publics. Paris : Armand Colin.
NOVA, Nicolas et BLOCH, Anaïs, 2020. Dr. Smartphones: an ethnography of mobile phone repair shops. Lausanne : IDP.
QUIBLIER, Agathe et PONCET-BERNARD, Valentine, 2022. « L’aller-vers numérique, un outil pour les associations communautaires travaillant auprès des travailleur.se.s du sexe », Cahiers de l’action, vol. 2, n° 59, p. 44‑54.
RAGUENEAU, Olivier et SABBAGH, Audrey, 2024. “From carbon to meaning: Experimenting for sustainable science”, One Earth, vol. 7, n° 5, p. 747‑750.
RASOLDIER, Aina, 2024. Comment évaluer le potentiel d’une solution numérique face à l’urgence écologique ? Application aux plateformes de covoiturage régulier à l’échelle locale. Thèse de doctorat en Informatique. Grenoble : Université Grenoble Alpes.
[1] https://www.greenit.fr/definition/
[2] https://ecoinfo.cnrs.fr/le-gds-ecoinfo/
[3] https://www.info.gouv.fr/upload/media/content/0001/08/aa02e4ccab062c11ac19387b055e539b5401bec9.pdf
[4] https://www.info.gouv.fr/upload/media/content/0001/08/aa02e4ccab062c11ac19387b055e539b5401bec9.pdf
[5] https://librairie.ademe.fr/consommer-autrement/5818-le-guide-de-la-communication-responsable-nouvelle-edition-enrichie-9791029715730.html
[6] https://www.cap-com.org/actualit%C3%A9s/retour-sur-le-rendez-vous-du-numerique-dinteret-general
[7] Lean ICT : pour une sobriété numérique, rapport du groupe de travail dirigé par Hugues Ferreboeuf pour le think tank The Shift Project, 2018.